Sur la route, quand les phares s'allument, alors tout devient un peu irréel, tout est possible. C'est l'heure ou passent les anges, ou les démons.
C'était justement une de ces nuits d'hiver aux approche de Noël. Une de ces nuits qui tombe tout d'un coup, et qui n'en finit pas de finir. Je roulais sur l'autoroute nord. Pour me détendre un peu, j'avais décidé de faire le plein, et stopper a une station-service. Le temps de passer mes trois-cents litres de gasoil, j'étais descendu pour me dégourdir les jambes et essuyer mes feux arriére, couverts de boue. C'est en remontant dans ma cabine que je l'ai aperçue.
D'ou venait-elle ? Comment était-elle arrivée la ? Je n'ai jamais pu me l'expliquer, mais elle y était, a l'autre bout de la banquette, pelotonnée dans un vieux cabord bleu-marine, un jean délaver moulant ses longues jambes. était-elle jolie ou inquiétante, avec ses longs cheveux mouillés, et ses étrange yeux verts roulait parfois une larme silencieuse? Aujourd'hui encore il m'est impossible de épondre a cela.
Eh petite, il faut pas rester la hein, je vais repartir, je ne peux pas t'emmener. Elle ne répondit pas et serra plus fort entre ses doigts un jouet en peluche, un petit ours, borgne, et tout raper. Tu m'entends, allez sauve-toi vite, mon chargement attend. » Je lui pris la main et je la tirai vers moi. Elle résista. D'autres camions arrivaient a la station. Il fallait dégager. Je mis en route et je démarrai.
On a rouler un bon moment. Je la regardai du coin de l'oeil . Elle ne bougeait pas. Elle murmurait seulement : Mon petit, mon pauvre petit, j'arrive, oui j'arrive. Et une larme glissait sur le drap bleu de sa veste. C'est alors que la gamberge a commencer. Elle sortait d'ou cette fille de la nuit ? Qui l'avait collée dans mon bahut ? Et qu'est-ce que c'était que cet enfant dont elle parlait ? On lui avait pris ? Il s'était perdu ou quoi ? Je la détaillai a la lueur des phares qui venaient en face. Elle était pale, et ses longues mains serraient plus fort le petit ours en peluche. J'essayai d'engager la conversation. C'était toujours des sanglots : Mon petit, mon petit. Je viens oui, je viens.
Je branchai la radio pour la détendre. Pas de succés. On y parlait que du temps pourri, de politique et d'un casse dans une banque. Bref le quotidien. Alors on a rouler en silence pendant des dizaines et des dizaines de kilométres. Et le petit cinéma a continué a tourner dans ma téte.
Le routier, c'est un peu le marin de la route. Comme lui il sait quand on part, mais jamais quand on rentrera. Il y a trop de choses qui peuvent modifier son voyage. Alors il a sa vie, sa vie un peu en marge des autres bonshommes. S'il est célibataire comme moi, ça n'a pas grande importance qu'on soit la ou la . Mais s'il est marié il y a toujours une paimpolaise et des petits moussaillons qui attendent son retour sur la jetée d'un HLM ou d'un F4 de banlieue. Alors si c'était ma chance cette fille. Si c'était le pére Noel qui m'avait fait ce cadeau ? Décrocher, lacher le cerceau ? M'incorporer dans le décors ? La télé, les pantoufles, les draps blancs qui sentent bon ? Le reve quoi. Avec peut-etre en prime un petit mouflet préfabriquer. C'est a ce moment précis que la gosse m'a toucher le bras. J'ai compris que c'était fini, qu'on était arrivé. J'ai stoppé. Elle a sauté en bas de la cabine et je l'ai vue en rase campagne loin de toute maison se perdre peu à peu dans la nuit. C'est en redémarrant que j'ai trouver le petit ours en peluche, coincé entre les coussins de la banquette. Alors je l'ai accrocher à mon pare-brise comme fétiche.
J'ai souvent refait le parcours depuis, essayé de savoir ce qui avait pu se passer. Je n'ai jamais rien pu apprendre. Mais il m'arrive quelque fois le soir, dans la lueur des phares, de croire reconnaitre une petite silhouette mince qui s'éloigne dans le nuit. Et j'en suis sur, c'est elle. Oui c'est bien elle, la fille de l'autoroute.
Je ne crois pas qu'on se connaisse, vous et moi. Mais je suis à peu près certains qu'on a bien du se rencontrer. Quelque part sur la route, dans un pays quelconque, Vous au volant de votre voiture, Moi dans la cabine de mon semi-remorque. Oui je suis routier, routier international. J'aime l'aventure et j'ai roulé ma bosse au quatre coins du monde. J'en ai passé des frontières, Et bouffé des kilomètres de poussières, de boue ou de neige
À cette époque-là, je faisais la ligne sur les routes de Californie. C'est là que m'est arrivée cette étrange histoire. Je venais de loin, je conduisais depuis trop longtemps, Et la fatigue commençait de se faire sentir. J'hésitais à réveiller le copain qui dormait dans la couchette, Pour me tenir compagnie, j'avais branché le radio-téléphone de bord, Le mobilophone comme on l'appelle aux États-Unis. C'est un appareil qui nous permet, à nous autres les routiers, De garder le contact et de nous entraider en cas de coup dur.
Je venais à peine d'enclencher le canal 27 de la CBR, Qui est notre fréquence habituelle, Lorsque j'entendis, à travers la friture des ondes courtes, Une petite voix lointaine qui parlait. Une petite voix d'enfant qui appelait. - Allô, Allô, les routiers, ici Teddy, Teddy Bear, m'entendez-vous ? Ici Teddy, répondez-moi. Je basculai l'inverseur sur émission et questionnai à mon tour. - Allô, Allô Teddy, ici la route. D'où appelles-tu ? Que veux-tu ? La voix du gamin répondit, un peu plus proche. - Ici Teddy, j'appelle les routiers. - Je t'entends, Teddy. Que veux-tu ?
- Je suis tout seul, je m'ennuie, Et je voudrais parler un peu avec vous. Je vous appelle avec le radio-téléphone de mon papa. Cet été nous avons eu un très grave accident, Et je suis toujours dans mon lit. Le docteur dit que je pourrais remarcher un jour, Mais que ce sera sûrement très long. J'habite une maison tout près de l'autoroute. Je suis souvent seul le soir, Car maman est serveuse dans un hôtel, pour nous faire vivre. J'ai perdu mon papa dans l'accident qui a détruit son camion, Et qui m'a cloué au lit. Il m'emmenait de temps en temps pour des petites courses. Et maintenant il ne vient plus jamais de routiers par ici. Alors j'essaye de vous accrocher avec le radio-téléphone qui nous reste, Pour vous parler un petit peu, quand vous passez sur l'autoroute.
Je ne suis pas une fillette, mais il me sembla soudain Que mes yeux se brouillaient, que j'y voyais moins bien. J'arrêtais le moteur au premier embranchement venu, Et je sortis ma carte. - Dis-moi, Teddy, où habites-tu exactement ? Le petit me situa sa maison. J'avais de l'avance sur l'horaire, je remis en marche Et je sortis de l'autoroute. Bien que j'aie foncé pour arriver chez lui, Je n'étais pourtant pas le premier. Bon sang, six énormes bahuts m'y attendaient. Six copains avaient entendu notre conversation Et m'avaient devancé, d'autres arrivaient encore. Je réveillais mon coéquipier qui n'en croyait pas ses yeux. On est tous entré, on a sorti Teddy de son petit lit, Et se fut vraiment la fête Chacun voulait le porter, l'asseoir derrière son volant, le cajoler. Le gosse rayonnait. On lui donna un tas de bricoles qu'on avait dans nos cabines, Et puis il fallut bien penser à repartir.
Je le remis dans son lit, après l'avoir embrassé une dernière fois. Je grimpais sur mon siége et je tirais le démarreur. J'ai vu plus d'un dur qui détournaient la tête. On lui promit que chaque fois que l'on passerait sur l'autoroute, On klaxonnerait d'une certaine manière afin qu'il nous entende. On se quitta enfin
Je n'avais pas fait trois kilomètres que le mobilophone crépitait à nouveau. C'était une autre voix, une voix émue de femme et elle disait : - Allô les routiers, ici la maman de Teddy, Merci les gars, vous êtes, vous êtes de braves types. Bonne route et que Dieu vous protégé. Je n'ai pas pu répondre un seul mot, J'ai coupé le radio-téléphone et alors seulement j'ai chialé, Oui. Chialé comme un vrai môme.
youtube fait par moi- Teddy, Le Chien & Les Routiers (Très Rare Et Genial)
20/12/2008 13:05
Du temps a passé, depuis le jour où sur mon C.B. Le radio téléphone de bord de mon camion J'avais capté le message de Teddy Un petit garçon handicapé Nous étions dev'nus de vrais amis, lui et moi Sitôt qu'j'avais un peu de liberté, je m'arrangeais pour venir le voir Et lui apporter quelques douceurs Il me parlait souvent de la première visite qu'on lui avait faite Et des mille petites choses qu'on lui avait données Pourtant, je sentais bien que ces visites trop rares Ne suffisaient pas à lui redonner le moral nécessaire, pour guérir Il fallait pour Teddy, un autre compagnon Qui soit près de lui, plus souvent Ce compagnon, le hasard allait le placer sur mon chemin
C'était l'époque où toute une population se jette Pêle-mêle sur les routes Ça s'appelle les vacances Et ça ne souffre aucune entrave On sacrifie tout à la folie du départ On plaque tout, et on s'en va Nous les routiers, pendant 48 heures On s'arrête et on laisse passer le flot
J'avais donc rejoint mon port d'attache En attendant la fin de cet exode Et pour tuer un peu le temps J'allai marcher dans la campagne C'est là que j'ai trouvé "Patapoil" C'était un pauvre petit chien, tout affolé Un corniaud que des salauds avaient attaché à un arbre avec du fil de fer
On d'vinait l'histoire La voiture bondée et le petit animal Qui avait voulu à tout prix Etre lui aussi d'la fête On l'avait rejeté une fois, deux fois Et puis devant son entêtement On l'avait amené, pour l'abandonner Lâchement quelques kilomètres plus loin Dans le premier bois venu
Il s'était débattu, s'entortillant dans le fil Au point de s'entamer profondément les pattes Il avait crié, crié, appelant au secours Ceux qui déjà, l'avaient oublié Couché sur le flanc, ce n'était plus qu'une pauvre petite boule de poil Sanglante et meurtrie C'est pour ça que j'l'appelai "Patapoil"
Je m'approchai de la bête Et lentement, avec précaution J'arrivai à la délivrer de ses liens D'abord elle me mordit Et puis elle me lécha les mains avec reconnaissance Je la ramenai au camion La soignai de mon mieux Et c'est là, en voyant ce petit chien boitiller sur trois pattes Que j'associai Teddy à cet incident Ce fut comme un déclic Il était là le compagnon de tous les jours, de toutes les heures Blessé comme lui, solitaire comme lui Ils uniraient leurs deux malheurs Et s'aideraient l'un et l'autre à guérir
J'enclenchai le radio téléphone et j'appelai "Allo, allo Teddy Bear ? J'appelle Teddy Bear Allo Teddy c'est toi? ici ton ami, le routier, Ecoute Teddy je viendrai te voir demain Non non je n'peux rien te dire, c'est une surprise Bonsoir Teddy, à demain "
Dans la soirée, je passai un appel général aux copains J'en accrochai trois ou quatre Je leur expliquai l'affaire, ils me promirent tous D'être là J'installai le petit animal sur un tas de vieux chiffons Je grimpai dans ma couchette et je m'endormis Heureux
Le lendemain, on a pris le bahut Et on a filé chez Teddy, les copains et moi Tous des gars terribles Ils s'étaient débrouillés dans la nuit pour faire quelque chose pour le gosse Sponky avait construit une niche, avec des planches Un autre avait tressé un collier et une laisse Pour que Teddy puisse emmener Patapoil en promenade Quand il remarcherait Un autre qu'on appelle le "cochon à roulette" (parce qu'il conduit le camion frigo d'une charcuterie industrielle) Avait voulu apporter de la viande pour toute une ménagerie
Quand on a poussé la porte de la petite maison J'ai cru un instant que Teddy allait sauter de son lit Et marcher, il battait des mains On l'a assis dans son fauteuil Et on a posé Patapoil sur ses genoux inertes Il l'a serré, serré contre son cœur Ils mêlaient leurs larmes de joie
J'ai vu tout de suite que c'était gagné Que ça collerait bien tous les deux Ah on a passé une fameuse journée Et quand il a fallu repartir Tous, même le vieux Ben qui va bientôt lâcher le volant On avait vraiment l'impression d'avoir sept ans
Comme la première fois, le CB nous a rappelé quelques kilomètres plus loin. D'abord on n'a rien entendu et puis, en prêtant bien l'oreille on a perçu de petits aboiements auxquels se mêlaient de gros sanglots d'enfant. C'était Teddy et il nous a dit: "Merci, merci à vous les copains vous avez été formidables. Vous m'avez donné la plus grande joie de ma vie même si je ne dois plus remarcher, jamais." On n'a plus osé se regarder nous autres. On s'est quitté bêtement sans savoir quoi dire. On venait de prendre vite fait, un sacré coup de vieux