Je ne crois pas qu'on se connaisse, vous et moi. Mais je suis à peu près certains qu'on a bien du se rencontrer. Quelque part sur la route, dans un pays quelconque, Vous au volant de votre voiture, Moi dans la cabine de mon semi-remorque. Oui je suis routier, routier international. J'aime l'aventure et j'ai roulé ma bosse au quatre coins du monde. J'en ai passé des frontières, Et bouffé des kilomètres de poussières, de boue ou de neige
À cette époque-là, je faisais la ligne sur les routes de Californie. C'est là que m'est arrivée cette étrange histoire. Je venais de loin, je conduisais depuis trop longtemps, Et la fatigue commençait de se faire sentir. J'hésitais à réveiller le copain qui dormait dans la couchette, Pour me tenir compagnie, j'avais branché le radio-téléphone de bord, Le mobilophone comme on l'appelle aux États-Unis. C'est un appareil qui nous permet, à nous autres les routiers, De garder le contact et de nous entraider en cas de coup dur.
Je venais à peine d'enclencher le canal 27 de la CBR, Qui est notre fréquence habituelle, Lorsque j'entendis, à travers la friture des ondes courtes, Une petite voix lointaine qui parlait. Une petite voix d'enfant qui appelait. - Allô, Allô, les routiers, ici Teddy, Teddy Bear, m'entendez-vous ? Ici Teddy, répondez-moi. Je basculai l'inverseur sur émission et questionnai à mon tour. - Allô, Allô Teddy, ici la route. D'où appelles-tu ? Que veux-tu ? La voix du gamin répondit, un peu plus proche. - Ici Teddy, j'appelle les routiers. - Je t'entends, Teddy. Que veux-tu ?
- Je suis tout seul, je m'ennuie, Et je voudrais parler un peu avec vous. Je vous appelle avec le radio-téléphone de mon papa. Cet été nous avons eu un très grave accident, Et je suis toujours dans mon lit. Le docteur dit que je pourrais remarcher un jour, Mais que ce sera sûrement très long. J'habite une maison tout près de l'autoroute. Je suis souvent seul le soir, Car maman est serveuse dans un hôtel, pour nous faire vivre. J'ai perdu mon papa dans l'accident qui a détruit son camion, Et qui m'a cloué au lit. Il m'emmenait de temps en temps pour des petites courses. Et maintenant il ne vient plus jamais de routiers par ici. Alors j'essaye de vous accrocher avec le radio-téléphone qui nous reste, Pour vous parler un petit peu, quand vous passez sur l'autoroute.
Je ne suis pas une fillette, mais il me sembla soudain Que mes yeux se brouillaient, que j'y voyais moins bien. J'arrêtais le moteur au premier embranchement venu, Et je sortis ma carte. - Dis-moi, Teddy, où habites-tu exactement ? Le petit me situa sa maison. J'avais de l'avance sur l'horaire, je remis en marche Et je sortis de l'autoroute. Bien que j'aie foncé pour arriver chez lui, Je n'étais pourtant pas le premier. Bon sang, six énormes bahuts m'y attendaient. Six copains avaient entendu notre conversation Et m'avaient devancé, d'autres arrivaient encore. Je réveillais mon coéquipier qui n'en croyait pas ses yeux. On est tous entré, on a sorti Teddy de son petit lit, Et se fut vraiment la fête Chacun voulait le porter, l'asseoir derrière son volant, le cajoler. Le gosse rayonnait. On lui donna un tas de bricoles qu'on avait dans nos cabines, Et puis il fallut bien penser à repartir.
Je le remis dans son lit, après l'avoir embrassé une dernière fois. Je grimpais sur mon siége et je tirais le démarreur. J'ai vu plus d'un dur qui détournaient la tête. On lui promit que chaque fois que l'on passerait sur l'autoroute, On klaxonnerait d'une certaine manière afin qu'il nous entende. On se quitta enfin
Je n'avais pas fait trois kilomètres que le mobilophone crépitait à nouveau. C'était une autre voix, une voix émue de femme et elle disait : - Allô les routiers, ici la maman de Teddy, Merci les gars, vous êtes, vous êtes de braves types. Bonne route et que Dieu vous protégé. Je n'ai pas pu répondre un seul mot, J'ai coupé le radio-téléphone et alors seulement j'ai chialé, Oui. Chialé comme un vrai môme.
youtube fait par moi- Teddy, Le Chien & Les Routiers (Très Rare Et Genial)
20/12/2008 13:05
Du temps a passé, depuis le jour où sur mon C.B. Le radio téléphone de bord de mon camion J'avais capté le message de Teddy Un petit garçon handicapé Nous étions dev'nus de vrais amis, lui et moi Sitôt qu'j'avais un peu de liberté, je m'arrangeais pour venir le voir Et lui apporter quelques douceurs Il me parlait souvent de la première visite qu'on lui avait faite Et des mille petites choses qu'on lui avait données Pourtant, je sentais bien que ces visites trop rares Ne suffisaient pas à lui redonner le moral nécessaire, pour guérir Il fallait pour Teddy, un autre compagnon Qui soit près de lui, plus souvent Ce compagnon, le hasard allait le placer sur mon chemin
C'était l'époque où toute une population se jette Pêle-mêle sur les routes Ça s'appelle les vacances Et ça ne souffre aucune entrave On sacrifie tout à la folie du départ On plaque tout, et on s'en va Nous les routiers, pendant 48 heures On s'arrête et on laisse passer le flot
J'avais donc rejoint mon port d'attache En attendant la fin de cet exode Et pour tuer un peu le temps J'allai marcher dans la campagne C'est là que j'ai trouvé "Patapoil" C'était un pauvre petit chien, tout affolé Un corniaud que des salauds avaient attaché à un arbre avec du fil de fer
On d'vinait l'histoire La voiture bondée et le petit animal Qui avait voulu à tout prix Etre lui aussi d'la fête On l'avait rejeté une fois, deux fois Et puis devant son entêtement On l'avait amené, pour l'abandonner Lâchement quelques kilomètres plus loin Dans le premier bois venu
Il s'était débattu, s'entortillant dans le fil Au point de s'entamer profondément les pattes Il avait crié, crié, appelant au secours Ceux qui déjà, l'avaient oublié Couché sur le flanc, ce n'était plus qu'une pauvre petite boule de poil Sanglante et meurtrie C'est pour ça que j'l'appelai "Patapoil"
Je m'approchai de la bête Et lentement, avec précaution J'arrivai à la délivrer de ses liens D'abord elle me mordit Et puis elle me lécha les mains avec reconnaissance Je la ramenai au camion La soignai de mon mieux Et c'est là, en voyant ce petit chien boitiller sur trois pattes Que j'associai Teddy à cet incident Ce fut comme un déclic Il était là le compagnon de tous les jours, de toutes les heures Blessé comme lui, solitaire comme lui Ils uniraient leurs deux malheurs Et s'aideraient l'un et l'autre à guérir
J'enclenchai le radio téléphone et j'appelai "Allo, allo Teddy Bear ? J'appelle Teddy Bear Allo Teddy c'est toi? ici ton ami, le routier, Ecoute Teddy je viendrai te voir demain Non non je n'peux rien te dire, c'est une surprise Bonsoir Teddy, à demain "
Dans la soirée, je passai un appel général aux copains J'en accrochai trois ou quatre Je leur expliquai l'affaire, ils me promirent tous D'être là J'installai le petit animal sur un tas de vieux chiffons Je grimpai dans ma couchette et je m'endormis Heureux
Le lendemain, on a pris le bahut Et on a filé chez Teddy, les copains et moi Tous des gars terribles Ils s'étaient débrouillés dans la nuit pour faire quelque chose pour le gosse Sponky avait construit une niche, avec des planches Un autre avait tressé un collier et une laisse Pour que Teddy puisse emmener Patapoil en promenade Quand il remarcherait Un autre qu'on appelle le "cochon à roulette" (parce qu'il conduit le camion frigo d'une charcuterie industrielle) Avait voulu apporter de la viande pour toute une ménagerie
Quand on a poussé la porte de la petite maison J'ai cru un instant que Teddy allait sauter de son lit Et marcher, il battait des mains On l'a assis dans son fauteuil Et on a posé Patapoil sur ses genoux inertes Il l'a serré, serré contre son cœur Ils mêlaient leurs larmes de joie
J'ai vu tout de suite que c'était gagné Que ça collerait bien tous les deux Ah on a passé une fameuse journée Et quand il a fallu repartir Tous, même le vieux Ben qui va bientôt lâcher le volant On avait vraiment l'impression d'avoir sept ans
Comme la première fois, le CB nous a rappelé quelques kilomètres plus loin. D'abord on n'a rien entendu et puis, en prêtant bien l'oreille on a perçu de petits aboiements auxquels se mêlaient de gros sanglots d'enfant. C'était Teddy et il nous a dit: "Merci, merci à vous les copains vous avez été formidables. Vous m'avez donné la plus grande joie de ma vie même si je ne dois plus remarcher, jamais." On n'a plus osé se regarder nous autres. On s'est quitté bêtement sans savoir quoi dire. On venait de prendre vite fait, un sacré coup de vieux